ISBN-13: 9781523950096 / Francuski / Miękka / 2016 / 300 str.
Extrait: Chapitre 1 UN CONVOI DE REFUGIES Le 23 decembre 1914, Palmyre Boussuge et son ex-amie, Agathe Chevremont, la femme du veterinaire, se trouvaient parmi les dames notables de Bourg-en-Thimerais, dit aussi Bourg-en-Foret, convoquees par le maire, le docteur Chazey, pour recevoir un train de refugies du departement de l'Aisne, chasses par l'invasion. Ils arriverent dans la soiree transis, fourbus, poudreux, avec deux heures de retard. Le convoi se composait d'une douzaine de vieillards hebetes et depayses de toutes les manieres au milieu des meres et des enfants dont le flot les avait charries; cent personnes en tout qui fuyaient devant l'orage et tournoyaient aux coups de vent comme feuilles mortes. Ces errants avaient couche la veille, a Paris, dans un cirque de la rive gauche transforme en asile de jour et de nuit. Sur eux trainaient encore des brins de paille de leur litiere. Les plus petits, le pouce dans la bouche et le regard en dessous, se blottissaient peureusement dans les jupes des femmes; les autres aidaient a porter des ballots d'effets et de choses sans nom ramassees pele-mele et sans discernement, a la derniere minute. On dirait que ce qui est sans valeur s'accroche a nous davantage et craint de nous perdre. Tel qui s'attache a des riens est possede par eux plus qu'il ne les possede. Une gamine de huit ans trimbalait une cage ou sautillait un moineau effarouche; une autre serrait dans ses bras un parapluie de cotonnade verte deux fois plus haut qu'elle. Un couple chenu et chancelant avait pour trait d'union un vaste panier noir a couvercle dont chacun des vieillards tenait une anse; l'osier jouait entre eux le role du lierre dans les mines. Tandis que ces malheureux veillaient sur les cendres de leur foyer, des accompagnantes rassemblaient pour la derniere fois les epaves humaines que leur avaient confiees les parents restes aux pays envahis. -Marie-Anne ... Juliette ... Fernand ... Ou est encore passe Adolphe?... Quand elles eurent leur compte a portee de la main, le pietinement des ombres cessa sous la lampe a petrole qui eclairait de sa lueur trouble la salle d'attente commune a toutes les classes. Elles n'y etaient pas, cette fois, confondues. On eut pu croire que les dames de la ville, groupees a l'ecart, attendaient le premier coup de cloche annoncant l'ouverture du marche, plutot que l'invitation du maire, le docteur Chazey, a faire leur choix. Lucien Descaves (Paris, le 18 mars 1861 - Paris, le 6 septembre 1949) est un litterateur, journaliste, romancier et auteur dramatique. Fils d'un graveur, il rendra hommage a cette profession dans une etude intitulee La Teigne (1885). En 1887, Descaves signe avec Paul Margueritte, Paul Bonnetain et d'autres un manifeste contre Zola a l'occasion de son roman La Terre: le Manifeste des cinq. Lucien Descaves s'est lui-meme particulierement rendu celebre par un roman antimilitariste, intitule Les Sous-offs, pour lequel il fut traduit en cour d'assises pour injures a l'armee et outrages aux bonnes m urs. C'est durant son service militaire, qu'il termina comme sergent-major, qu'il puise les scenes d'un realisme cru qui ponctuent la fiction. Acquitte en 1890, il donna d'autres uvres dans le meme ton et contenant des violences jugees excessives par certains (Louis Bethleem) ou d'une brutale sincerite pour d'autres (Larousse). Il est redacteur au journal l'Aurore au moment de l'affaire Dreyfus, a qui il apporte son soutien. Il tient a partir de 1916 la rubrique litteraire qui reste le point fort du Journal. En 1927, il signe en compagnie d'Alain, Louis Guilloux, Henry Poulaille, Jules Romains, Severine... la petition (parue le 15 avril dans la revue Europe) contre la loi sur l'organisation generale de la nation pour le temps de guerre qui abroge toute independance intellectuelle et toute liberte d'opinion."