ISBN-13: 9781515344018 / Francuski / Miękka / 2015 / 436 str.
ISBN-13: 9781515344018 / Francuski / Miękka / 2015 / 436 str.
Extrait du chapitre I L'ancien Opera, incendie il y a quinze ans, n'avait ni facade imposante, ni escalier monumental, mais les vieux abonnes le regrettent. On y voyait moins d'etrangers et l'acoustique y etait meilleure. On y donnait aussi des bals masques plus amusants que ceux d'a present. Le carnaval de 1870 fut joyeux et la nuit du samedi gras de l'annee terrible, la salle de la rue Le Peletier regorgeait de monde. On s'ecrasait dans les couloirs, on s'etouffait au foyer et les loges etaient bondees. Aux premieres, a droite, il y en avait une ou on menait grand bruit. Les jeunes qui l'occupaient etaient montes a un formidable diapason de gaiete, et ce nid de viveurs elegants attirait les chercheuses d'aventures, comme la lumiere attire les chauves-souris. A tout instant, s'ouvrait et se refermait la porte qui donnait sur le fameux corridor, si magistralement mis en scene par les freres de Goncourt, au premier acte de Henriette Marechal. C'etait un incessant va-et-vient de dominos de toutes les couleurs. Quelques loups de dentelle abritaient peut-etre de vraies mondaines en rupture de salons du high-life, mais la plupart cachaient mal des visages de demoiselles trop connues, et ces messieurs n'etaient pas venus au bal pour se faire intriguer, comme on disait jadis. En ce temps-la, il n'y avait deja plus que les collegiens et les provinciaux pour jouer a ce jeu demode. Dans la loge numero 9, on remplacait l'intrigue par une pantomime expressive, et les femmes qui s'y risquaient savaient a quoi elles s'exposaient. Elles partaient chiffonnees, mais non pas fachees, et elles ne craignaient pas d'y revenir apres une excursion dans les couloirs ou on ne les respectait pas davantage. Sous cette loge tapageuse, venaient de danser les clodoches, alors en pleine vogue, et le chef de la bande s'etait mis a faire la quete. Dans son bonnet tendu, a bout de bras, il avait recolte une pluie d'or et il s'en allait recommencer plus loin ses exercices, en les dediant a d'autres amateurs de contorsions. Il n'etait reste qu'un individu, costume en troubadour de pendule, vetu d'une tunique abricot et coiffe d'une toque a creneaux. Celui-la n'avait pas figure dans le quadrille privilegie. Il avait bien essaye de s'y meler, mais les autres l'avaient rudement repousse. N'est pas clodoche qui veut et les titulaires de l'emploi ne se souciaient pas d'admettre un intrus au partage des benefices. Ces droles ne travaillaient pas pour l'amour de l'art et le bal de l'Opera leur rapportait gros a cette epoque ou les riches avaient encore le louis facile. Le troubadour evince avait l'air si triste et il regardait si humblement les semeurs de pourboires que l'un d'eux le prit en pitie, un grand brun que les grimaces des clodoches n'avaient pas deride et qu'avaient laisse froid les agaceries des belles de nuit qui, les unes apres les autres, s'etaient assises pres de lui."