ISBN-13: 9781519229724 / Francuski / Miękka / 2015 / 396 str.
Extrait: Chapitre 1 UN COIN D'ANGLETERRE RUE DE POMEREU Tous les amateurs de chevaux, qui pratiquaient ce noble sport il y a trente ans et qui lui demeurent fideles en depit de l'automobile, se rappellent, avec un regret jamais console, M. Robert Campbell, Bob Campbell, l'importateur brevete des poneys du pays de Galles, le rival des Bartlett et des Hensman, le gros Bob, enfin. Il fallait le voir descendre les Champs-Elysees, dans son tonneau, avec son rouge visage, rase de pres, ou luisaient des yeux d'un bleu si clair. La bete qu'il menait - rarement la meme - etait toujours un petit animal, bati en hercule, qui mesurait un metre trente-deux, trente-cinq - treize mains, disait-il dans son francais traduit de l'anglais, - et elle allait, elle allait, devorant l'espace de ses membres courts... Le gros Bob etait vetu, hiver comme ete, d'un complet coupe dans une de ces etoffes rudes qui sentent la tourbiere, que l'on appelle Harris, a cause des iles ou elles sont tissees. Il fumait une courte pipe en bois de bruyere. Quoiqu'il fut devenu, de par son metier, un des figurants du tout Paris elegant, il semblait echappe d'une lithographie du Punch, avec son haut chapeau d'un drap noir ou gris, suivant la saison, et son mufle de dogue, d'un flegme si intensement, si insulairement impassible. Il parlait, et c'etait une gageure, L'Anglais classique de l'ancien repertoire du Palais-Royal ne prononcait pas notre langue d'un accent plus cocasse. Il ne donnait pas a notre syntaxe des entorses plus audacieuses. Les avises ne s'y trompaient point. Le gros Bob savait le francais comme vous et moi, et, si vous debattiez un marche avec lui, vous deviez prendre bien garde que pas une nuance de vos phrases ne lui echappait. En revanche, ce que personne ne savait comme lui, c'etait le mot de cette enigme a quatre jambes que represente un cheval inconnu pour tout acheteur, et, neuf fois sur dix, pour tout marchand. Quelques minutes suffisaient a Bob pour discerner si l'animal etait jeune ou vieux, et son age a six mois pres, s'il se nourrissait bien ou mal et pourquoi, s'il etait vite ou paresseux, franc ou cabochard et comment, s'il respirait avec des poumons et un c ur intacts, ce que valaient ses jarrets, ses paturons, ses sabots, leur corne, leur sole, ce qu'il avait deja fait, ce qu'il pouvait faire, toute son histoire. Son il pers etait impayable de serieux gouailleur, quand il procedait a ce diagnostic, aussi infaillible dans son domaine que pouvait l'etre, a cette meme epoque, celui d'un Dieulafoy sur un malade de son hopital ou d'un Morelli sur un tableau du quinzieme siecle. Il n'y avait pas d'exemple qu'un fermier du Norfolk ou du Kerry eut jamais enrosse le gros Bob... Paul Bourget, ne a Amiens le 2 septembre 1852 et mort a Paris le 25 decembre 1935, est un ecrivain et essayiste catholique francais issu d'une famille originaire d'Ardeche. Ayant donne le signal d'une reaction contre le naturalisme en litterature, Bourget est d'abord tente par le roman d'analyse experimental. La finesse de ses etudes de m urs et de caracteres seduit le public mondain qu'il frequente dans les salons parisiens de la Troisieme Republique. Ses premiers romans - Cruelle enigme (1885), Un crime d'amour (1886) et Mensonges (1887) - ont ainsi un grand retentissement aupres d'une jeune generation en quete de reve de modernite. Le romancier change ensuite de direction et s'oriente a partir du roman Le Disciple (1889), considere comme son uvre majeure, vers le roman a these, c'est-a-dire le roman d'idees. Il ne se contente plus de l'analyse des m urs mais en devoile les origines et les causes, soumises a des lois ineluctables et dont la transgression amene tous les desordres individuels et sociaux. Cette nouvelle voie conduit Paul Bourget a ecrire des romans davantage psychologiques: L'Etape"