ISBN-13: 9781503015432 / Francuski / Miękka / 2014 / 238 str.
ISBN-13: 9781503015432 / Francuski / Miękka / 2014 / 238 str.
Ce livre est encore plus moi que tous ceux que j'ai ecrits jusqu'a ce jour. Il renferme meme un long chapitre que je n'ai consenti a livrer a aucune revue, de peur qu'il ne tombat sous les yeux de gens quelconques, sans que j'aie pu les avertir. D'abord, je voulais ne pas publier ce passage. Mais j'ai songe a mes amis inconnus: un seul mouvement de leur sympathie lointaine, je regretterais trop de m'en priver... Et puis j'ai toujours cette impression que, dans l'espace et dans la duree, je recule les limites de mon ame en la melant un peu aux leurs; quelques instants de plus, apres que j'aurai passe, la memoire de ces freres gardera peut-etre vivantes de cheres images que j'y aurai gravees. Ce besoin de lutter contre la mort est d'ailleurs -apres le desir de faire quelque bien si l'on s'en croit capable- la seule raison immaterielle que l'on ait d'ecrire. Parmi ceux qui font profession d'etudier les uvres de leur prochain, il en est bon nombre avec lesquels je n'ai rien de commun, ni les idees ni le langage. Moins que jamais je me sens capable d'irritation contre eux, tant j'ai appris a tenir compte, avant de juger les autres hommes, des differences naturelles ou acquises. Mais cette fois est la premiere ou leur gouaillerie aurait quelque chance de m'etre penible, si elle parvenait jusqu'a moi, parce qu'elle pourra porter sur des choses et des etres qui me sont sacres; je leur donne vraiment la partie belle en publiant ce livre. Aussi vais-je essayer de leur dire ici: faites-moi donc la grace de ne pas le lire, il ne contient rien qui soit pour vous, -et il vous ennuiera tant, si vous saviez ... Pierre Loti. Apres quelques minutes de traversee, une barque nous depose sur ces sables -qui ne sont point un ilot comme on l'aurait cru de loin, mais qui forment l'extremite d'une longue, longue et etroite presqu'ile, d'une espece de plage sans fin resserree entre l'Ocean et des lagunes a sel alimentees par la mer. Pen-Bron est la, entoure d'eau comme un navire. Devant ses murs, on a esquisse un jardin, que balaient tous les souffles du large, mais ou les fleurs poussent tout de meme dans les plates-bandes sablonneuses. Une soixantaine d'enfants se tiennent dehors, petits garcons et petites filles, en deux groupes separes. Les petits garcons jouent, causent, chantent. Sous la surveillance d'une bonne s ur en cornette, les petites filles en font autant de leur cote, a part quelques-unes un peu grandes, qui sont assises sur des chaises et travaillent a l'aiguille. -Et c'est comme cela tous les jours, parait-il, excepte par les grandes pluies; constamment installes dehors, les pensionnaires de Pen-Bron tournent, d'apres le vent et le soleil, autour des murs de leur maison, regardant tantot la lagune, tantot la grande mer, sans cesse respirant cette brise qui laisse aux levres un gout de sel. Et vraiment -si ce n'etait qu'on apercoit quelques bequilles soutenant de pauvres petites jambes trop faibles, quelques bandages cachant encore des moities de figure, et, adosses a la muraille, trois ou quatre petits fauteuils d'une forme un peu inquietante- on croirait arriver dans un pensionnat quelconque, a l'heure de la recreation; tellement, que je sens tout a coup s'envoler cette sorte d'horreur physique, d'angoisse irraisonnee qui me serrait la poitrine a l'abord de ce museum de miseres. Je n'ai plus qu'un sentiment de curiosite en approchant de ces petits malades: de loin, je les vois jouer comme n'importe quels autres enfants de leur age; mais, pour etre la, cependant, il faut qu'ils soient tous, tous sans exception, atteints jusqu'aux moelles par quelque maladie effroyable. -Et alors, quelles figures vont-ils avoir? -Mon Dieu, des figures comme tout le monde; quelquefois meme, a mon grand etonnement, des figures tres gentilles, arrondies, pleines, imita"